Une synergie réussie entre la gastronomie et l’œnologie, qui a inspiré Michelin
Le Robert Parker’s Wine Advocate (RPWA) et le guide Parker n’ont désormais plus de « Robert Parker » que la signature de son fondateur, car le plus célèbre critique de vins américain mondialement connu, Robert Parker est officiellement à la retraite de la filière vin.
« Alors que je me retire du Wine Advocate, a déclaré Robert Parker cité dans sa revue, j’ai l’honneur de passer la main à notre équipe formidable. Le temps est venu de renoncer à toutes mes responsabilités éditoriales et directoriales avec effet immédiat ». (AFP)
Après avoir déjà cédé son Guide à des investisseurs asiatiques, c’est Michelin (le guide) qui a pris 100% du contrôle du guide Parker
Figure emblématique devenue un nom de marque, le célèbre critique Robert Parker avait d’abord tout vendu à des investisseurs singapouriens pour 15 millions de $. Puis coup de théâtre, on a appris discrètement que déjà en 2017 le groupe Michelin avait pris 40% du Capital du « Robert Parker Wine Avocat » la majorité restait détenue par les investisseurs asiatiques, qui proclamaient officiellement fin 2020 le rachat de la totalité du « RPWA » par le groupe Michelin. Robert Parker n’étant plus premier actionnaire de sa revue et de son Guide. Celui-ci a définitivement quitté les fonctions de sa société pour profiter de sa famille et prendre sa retraite dans sa maison de Baltimore.
« Michelin souhaite renforcer et développer son expérience dans le domaine de la gastronomie puisque déjà propriétaire du célèbre Guide gastronomique, ceci afin de proposer aux clients des sélections à très forte valeur ajoutée », c’est ce qu’a indiqué un responsable du guide Michelin.
La « RPWA » en plus de publier son magazine et le Guide, a aussi une activité d’évènementiel spécialisée en manifestations liées au vin et à la gastronomie, c’est ce qui avait séduit les asiatiques car depuis 2016 «RPWA » et Michelin sont partenaires à Singapour et Hong-Kong où ils proposent des concepts innovants d’expériences autour des accords mets-vins, lors de dîners prestigieux associés à des chefs étoilés Michelin avec des Grands Crus, ceux les mieux notés par Parker. Nicolas Achard un expert sur le terrain asiatique, responsable des activités chinoises du guide Michelin à l’époque a d’ailleurs été nommé à la présidence du « RPWA ».
La retraite programmée de Bob Parker
Ce cher Bob discrètement s’était éloigné de la direction de sa revue et de son guide ces dernières années. Tout avait commencé lorsqu’il a cédé une partie de sa société en 2012, se gardant tout de même la notation des vins pour les cinq années suivantes (jusqu’à 2017), notamment celles des primeurs de Bordeaux en 2015, puis des vins livrables en 2016.
Célèbre pour ses talents de dégustateur autant que pour les nombreuses controverses sur son système de notation ou son influence sur le profil des vins, Robert Parker a toujours intrigué par sa manière de déguster. Capable de goûter 100 vins par jour (10 000 par an) de les noter objectivement sans que cela pose de problème à ses papilles, Robert Parker que certains américains qualifient « de père de la critique moderne de vins » alors qu’en France l’on pilonne au passage son concept de Parkerisation des vins, est devenu un mythe simplificateur de la mondialisation.
Plus de 40 ans de Wine Advocate
Marqué par son premier voyage en France, en Alsace, en 1967, Robert Parker a vu naître en lui une véritable passion pour le vin, cette passion il voulut la partager, d’où l’idée de créer une lettre confidentielle où il commentait en détail ses vins dégustés, celle-ci connut un tel succès auprès des amateurs du monde de la magistrature, qu’elle se transforma en une revue de dégustation de vin indépendante du monde viticole, ciblant un public d’amateurs.
Ayant d’abord achevé ses études de droit en 1973 et travaillé ensuite pour un cabinet d’avocat (à Baltimore, Maryland), c’est comme cela qu’il a lancé en 1978 le Baltimore-Washington Wine Advocate (simplifié dès 1979 en The Wine Advocate). Il avait gagné ses galons de critique de référence mondiale lors des primeurs de Bordeaux 1982. Il a surtout eu la chance d’ouvrir la bonne porte, celle du laboratoire d’œnologie de Michel Rolland quand il cherchait des opportunités de mise en relation avec des propriétaires de vignobles réputés dans le bordelais, afin de pouvoir déguster leurs vins, alors inaccessibles pour un simple dégustateur méconnu.
On dit de lui qu’il est « l’Empereur du vin », certains le surnomme également le « Gourou », mais ces formulations, Robert Parker ne les apprécie guère. Il se qualifie simplement d’amateur de vin. Mais alors on peut se poser la question comment un simple « amateur » est devenu « LA » référence mondiale en matière de dégustation et de notation depuis plus de 40 ans.
Robert Parker était avant tout indépendant, et parfois sévère. Auteur de nombreux ouvrages dont le célèbre Guide Parker, bible de l’acheteur de grands crus, il a su apporter une réponse aux nouveaux consommateurs américains, qui ne demandaient qu’à être guidés dans le choix des achats de vins sur un terrain jamais exploité aux USA. On se demande encore aujourd’hui par quel miracle son palais a eu la faculté de faire et défaire la réputation de certains vignerons jusqu’à mettre en péril financier leurs exploitations. A titre de comparaison, les domaines attendaient fébrilement son guide, tel le restaurateur s’impatiente avant la sortie du guide Michelin. Une seule différence : les répercutions furent mondiales, car américains, anglais et japonais le suivirent les yeux fermés, et toute la planète vin s’est mise à faire des vins boisés pour plaire à Parker et avoir une chance d’être bien noté.
Il a donc semblé normal à certains de nos présidents de la République de le récompenser des plus hautes distinctions de leur nation respective. En 1993, François Mitterrand l’avait nommé Chevalier de l’Ordre National du Mérite et, en 1999, le Président Jacques Chirac l’avait nommé Chevalier de l’Ordre de la Légion d’Honneur. Il est donc le seul écrivain et critique de l’histoire à avoir bénéficié de ces honneurs !
L’autorité de Robert Parker fut telle, que certains producteurs aux quatre coins du monde n’ont pas hésité à modifier leurs vins pour mieux coller aux goûts du célèbre critique américain ! période où l’on autorisera officiellement l’ajout de copeaux de bois dans les cuves ainsi que les planches de chêne.
En avril 2012, l’athlète de la dégustation revoie sa copie en réévaluant sa notation sur le millésime 2009 qu’il juge comme « le meilleur millésime qu’il n’ait dégusté depuis celui de 1982 ». De ce fait, et comme on pouvait s’y attendre, les cours se sont envolés. Des vins moins célèbres affichant 100/100 ont totalement bénéficié de cette annonce et ont vu leurs ventes exploser. Par exemple, la valeur moyenne du millésime 2009 à Bordeaux a augmenté de 160% !
Il faut dire qu’une succession d’incidents s’étaient accumulés en sa défaveur, dont une mauvaise note attribuée à Mouton Rothschild, puis la révélation de dégustations sous influence, c’est à ce moment-là que certains vignerons et vigneronnes réputés décidèrent un refus catégorique de présenter leurs vins à ses dégustations, d’être notés.
Au même moment éclata le scandale avec sa collaboratrice française, il fût aussi désemparé par l’arrivée de célèbres femmes œnologues dans les châteaux, dont certaines adeptes des vins vinifiés en cuve, mais surtout l’arrivée de jeunes viticultrices à la tête des domaines, privilégiant la finesse et la subtilité pour leurs cuvées, ce qui modifia subitement le profil des vins. Enfin, se profila ensuite l’influence du choix des vins dans l’acte d’achat, donnant pour la première fois le pouvoir aux consommatrices d’exprimer leurs émotions gustatives, révolutionnant ainsi la manière de vinifier les vins en France. Tous ces facteurs réunis l’ont poussé vers la sortie.
Sa succession
Dans son entretien au WSJ, Parker avait précisé qu’il allait confier la rédaction en chef de sa newsletter à une femme, à sa correspondante à Singapour, la dégustatrice émérite Lisa Perrotti-Brown et annonça l’arrêt de la version papier au profit du numérique. En revanche, il qualifia ses partenaires asiatiques « de jeunes visionnaires » dans le domaine des services financiers et des technologies de l’information, eux aussi « amateurs de vin ».
Il était de notoriété publique qu’il ne venait plus déguster dans le Bordelais, c’est Neal Martin qu’il avait formé, très expérimenté pour la relève qui dégustait et notait à sa place.
La fin d’un règne incontesté
Aujourd’hui, l’âge d’or du dégustateur souverain est révolu, le siège, la bible des acheteurs de Grands Crus « le guide Parker » ainsi que sa News letter sont sans Parker et entièrement numériques. The Wine Advocate représente 55 000 abonnés (dont 80% d’américains) et des millions de lecteurs qui attendaient ses célèbres notes, craintes, brocardées ou exhibées lorsque celles-ci sont jugées pertinentes, ses lecteurs sont désormais déboussolés. Aujourd’hui orphelins, ils se fient à l’équipe du Wine Advocate formée par ce dernier, même si aux USA les notes sur 100 ne sont plus affichées sur les rayons vin.
Considéré comme ayant été le critique le plus influent du monde, Robert Parker est aussi bien adulé, pour avoir décomplexé les acheteurs et consommateurs américains que critiqué, pour son système de notation à points ou l’uniformisation des vins qui donnera naissance à cette analogie: la « parkerisation ». Cette dénomination est pour beaucoup la version œnologique de l’impérialisme américain. Y a-t-il un goût Parker ? Oui, mais c’est aussi le goût du marché qu’il a réussi à imposer, prioritairement du marché américain, qui a fait les beaux jours de l’industrie viticole pendant 20 années.
Mais l’univers de Robert Parker n’a pas tout le temps été rose, car les professionnels du vin ne savaient pas sur quel pied danser face à lui. Ses détracteurs voulaient limiter son influence. Jonathan Nossiter a tenté de dénoncer cette uniformisation des vins liée à l’influence de cette « mafia parkerophile », dans le très bon documentaire Mondovino présenté au Festival de Cannes en 2004.
Ce qu’il faut retenir
Jamais un critique vinicole n’aura autant influencé les vignerons de la planète. « Et plus personne n’aura sa notoriété ni son influence », prédit Christophe Chateau, directeur de la communication du Conseil interprofessionnel des vins de Bordeaux. « Certains vignerons bordelais estiment qu’il faudrait lui ériger une statue à Bordeaux. » car grâce à cet ancien avocat, les vins bordelais ont pu prospérer sur les marchés d’Amérique du Nord et d’Asie.
On voit actuellement dans des marchés asiatiques valorisés, comme Hong Kong ou Singapour, les notes siglées Robert Parker continuer à être affichées en magasins et servir de boussole à de nouveaux consommateurs fortunés, que cette note rassure qu’elle soit de Robert Parker ou non.
Avant Parker, les journalistes anglais et français étaient les valeurs sûres de la critique mondiale du vin. Tout naturellement, la critique a traversé l’Atlantique pour suivre la puissance des marchés. Aujourd’hui, c’est l’Asie qui influence le business du vin, avec une consommation locale mais aussi une production locale en Chine. Même si Michelin va influencer la communication et continuer à assoir la notoriété du guide Parker (son nom et sa photo figurent encore dans la dernière parution du guide 2021) nous devrions donc voir émerger une nouvelle forme de critique asiatique avec des « règles du jeu » adaptées au contexte du marché privilégiant le « goût » des consommateurs qui découvrent le vin. Nous ne tarderons pas à voir de nouveaux influenceurs sur les réseaux sociaux se bousculer pour imposer un nouveau style à juger des vins en congruence avec les attentes des consommateurs de ces nouveaux marchés. « Bob » comme le surnomment ses proches reste encore une « valeur sûre » car il n’a pas de véritables disciples pour lui succéder et c’est ce que Michelin a bien compris.
crédit photo Robert Parker Wikipédia, Michelin, éditions Solar